L’art de la routine selon Haruki Murakami
Imagine-toi dans les rues calmes de Tokyo, alors que la ville dort encore. Il est 4 heures du matin et une fenêtre s’illumine dans l’obscurité. Derrière celle-ci, un homme s’installe à son bureau, une tasse de café fumante à portée de main. Cet homme, c’est Haruki Murakami, l’un des auteurs japonais les plus célèbres de notre époque, et il s’apprête à entamer sa journée comme il le fait depuis des décennies.
Cette routine, aussi simple qu’exigeante, est devenue sa signature, son secret pour créer ces œuvres qui ont captivé des millions de lecteurs à travers le monde. De 1Q84 à La Ballade de l’Impossible, chaque roman est né de ces heures silencieuses où le monde dort encore.
Une journée millimétrée au service de la création
Quand on découvre la routine quotidienne de Murakami, on pourrait presque la confondre avec celle d’un moine zen. Pourtant, c’est cette discipline quasi monastique qui lui permet de donner vie à des univers aussi riches et complexes que ceux qui peuplent ses romans.
Sa journée commence invariablement à 4 heures du matin. Pas à 4h15, pas à 4h30, mais à 4 heures précises. Cette exactitude n’est pas le fruit du hasard – elle est le premier maillon d’une chaîne d’habitudes soigneusement construite. Les cinq à six heures qui suivent sont entièrement consacrées à l’écriture, dans cet espace temporel où le monde extérieur n’existe pas encore vraiment.
L’art délicat de la concentration profonde
« La plupart des gens ne voient que la réalité superficielle du travail d’écriture« , explique Murakami dans son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond. Et il a raison. L’image romantique de l’écrivain contemplant paisiblement l’horizon en sirotant son café ne correspond en rien à la réalité de ce métier exigeant.
Car écrire, selon Murakami, c’est avant tout un exercice de concentration intense. C’est projeter son esprit comme un rayon laser vers un point précis, faire surgir quelque chose du néant, et maintenir ce fil ténu de la création pendant des heures. Ce n’est pas une tâche pour les âmes fragiles ou les esprits dispersés.
C’est précisément pour cette raison que Murakami a choisi ces premières heures du jour pour écrire. À 4 heures du matin, le monde dort encore. Pas de notifications qui vibrent, pas d’emails urgents, pas de distractions quotidiennes. Il n’y a que le silence de l’aube et cet espace sacré où l’esprit, encore vierge des pollutions de la journée, peut plonger tout entier dans l’acte de création. Ces heures volées à la nuit deviennent alors un sanctuaire où la concentration peut s’épanouir dans toute sa plénitude.
Le corps et l’esprit : un équilibre vital
Mais la particularité de la routine de Murakami ne réside pas uniquement dans ses heures d’écriture. L’après-midi, invariablement, il enfile ses baskets pour courir une dizaine de kilomètres, ou plonge dans une piscine pour nager 1500 mètres – parfois les deux.
Cette alternance entre travail intellectuel et effort physique n’est pas un simple caprice. Pour lui, c’est pendant ces moments où son corps est en mouvement que son esprit trouve sa plus grande liberté. Les pensées viennent et partent comme des nuages dans le ciel, dit-il, laissant parfois derrière elles des idées précieuses pour ses histoires.
Cette discipline sportive répond aussi à une nécessité physique. Le métier d’écrivain, avec ses longues heures passées assis devant un bureau, est par nature sédentaire. Murakami l’a bien compris après avoir lui-même expérimenté les effets néfastes de cette immobilité lors de ses débuts, quand il gérait un bar jazz et passait ses journées dans un environnement enfumé.
L’exercice quotidien devient alors plus qu’une simple habitude : c’est un contrepoids vital à cette sédentarité forcée, une façon de maintenir son corps aussi affûté que son esprit. Car pour lui, un esprit vif nécessite un corps en mouvement.
Le sommeil, socle d’une créativité durable
La journée de Murakami se termine tôt, vers 21 heures. Cette discipline du sommeil, qui pourrait sembler austère, est en réalité la clé de voûte de tout son système. Car pour se lever à 4 heures du matin, jour après jour, année après année, il faut un corps et un esprit reposés.
Cette régularité dans le sommeil crée un rythme circadien stable, ce cycle naturel qui régit notre horloge biologique. En se couchant et en se levant aux mêmes heures, Murakami synchronise son corps et son esprit avec le cycle du soleil, maximisant ainsi son énergie aux moments clés de sa journée. C’est ce qui lui permet d’être pleinement alerte et créatif dès 4 heures du matin, quand la plupart d’entre nous luttons encore contre les brumes du sommeil.
Les leçons à tirer de cette routine d’exception
Au-delà de son apparente simplicité, la méthode de Murakami nous offre trois enseignements majeurs qui dépassent largement le cadre de l’écriture.
La constance comme pilier de la réussite
Plus que la rigueur des horaires, c’est leur immuabilité qui fait la force de cette routine. Murakami ne négocie pas avec lui-même chaque matin – il se lève à 4 heures, qu’il en ait envie ou non, qu’il se sente inspiré ou non. Cette constance crée un cadre qui libère paradoxalement la créativité. En automatisant les décisions quotidiennes (quand se lever, quand écrire, quand courir), il libère son esprit pour se concentrer sur l’essentiel : la création. C’est comme un rituel sacré qui, à force de répétition, devient une seconde nature.
L’équilibre corps-esprit comme source d’harmonie
Le génie de Murakami réside dans sa compréhension profonde de l’interdépendance entre le corps et l’esprit. Son travail intellectuel intense du matin est systématiquement contrebalancé par un effort physique tout aussi intense l’après-midi. Cette alternance n’est pas un simple exercice de santé – c’est une philosophie de vie. Quand l’esprit a donné tout ce qu’il pouvait, le corps prend le relais, créant ainsi un cycle vertueux où chaque activité nourrit l’autre. La course à pied devient une méditation active, un espace où les idées peuvent germer librement, tandis que l’écriture bénéficie de l’énergie et de la clarté mentale apportées par l’exercice physique.
Le sommeil comme fondation indispensable
La troisième leçon, peut-être la plus cruciale, concerne le respect quasi religieux que Murakami accorde au sommeil. Dans un monde qui valorise souvent le surmenage et les nuits blanches comme des badges d’honneur, sa discipline du sommeil apparaît comme une forme de sagesse. Se coucher tôt n’est pas un acte de faiblesse mais une décision stratégique. C’est reconnaître que notre créativité, notre productivité et notre bien-être reposent sur des bases biologiques qu’on ne peut pas tromper indéfiniment. Un esprit reposé est un esprit qui peut créer, innover et persévérer sur le long terme.
Ces trois piliers – constance, équilibre et repos – forment un triangle vertueux qui permet à Murakami de maintenir un niveau de productivité créative exceptionnel année après année. Ils nous rappellent que la réussite durable ne repose pas sur des coups d’éclat occasionnels, mais sur une approche holistique et équilibrée de notre quotidien.
Conclusion
Non, tu n’as pas besoin de te lever à 4 heures du matin pour être productif. La routine de Murakami n’est pas un modèle à copier aveuglément, mais plutôt une source d’inspiration. Elle nous rappelle que la créativité n’est pas qu’une question de talent ou d’inspiration divine – c’est avant tout une question de discipline et de constance.
L’important n’est pas de reproduire exactement ce que fait Murakami, mais de comprendre les principes qui sous-tendent sa routine et de les adapter à ta propre vie. Car la meilleure routine est celle qui te fait te lever le matin avec envie et te coucher le soir avec la satisfaction du travail accompli.
Alors plutôt que de vouloir copier la routine d’un autre, aussi impressionnante soit-elle, prends le temps de construire la tienne. Une routine qui respecte ton rythme, tes contraintes et tes objectifs. Car c’est dans cet équilibre personnel que tu trouveras ta propre voie vers la productivité et l’épanouissement.